Diabète insipide : comprendre la polyurie et la polydipsie persistantes

Soif excessive

La polyurie et la polydipsie désignent respectivement une production d’urine excessivement abondante et une soif excessive conduisant à boire de grandes quantités de liquides. Ces deux symptômes apparaissent souvent conjointement : l’organisme, en produisant trop d’urine, incite la personne à boire plus pour compenser les pertes hydriques. L’association d’une polyurie et d’une polydipsie est appelée syndrome polyuro-polydipsique. Ce syndrome constitue un motif d’inquiétude car il peut révéler un trouble sous-jacent de l’équilibre hydrique, notamment le diabète insipide, une maladie rare distincte du diabète sucré.

Des symptômes marqués de polyurie et de polydipsie perturbent le quotidien : la personne atteinte doit s’interrompre fréquemment, de jour comme de nuit, pour uriner en grande quantité et étancher sa soif incessante. Face à de tels signes, il est important d’en identifier la cause. Parmi les causes possibles, le diabète insipide est l’une des principales à évoquer. Cette affection endocrinienne, bien que rare, se caractérise par une incapacité des reins à concentrer les urines, sans lien avec le sucre sanguin (contrairement au diabète sucré). Les mécanismes du diabète insipide, ses symptômes, son diagnostic et ses traitements sont détaillés ci-dessous, de même que les autres causes pouvant entraîner un syndrome polyuro-polydipsique.

Définitions : polyurie et polydipsie

Chez un adulte, la production urinaire normale varie entre environ 1 et 2 litres par 24 heures. On parle de polyurie lorsque ce volume dépasse habituellement 3 litres par 24 heures (ou environ 50 mL par kilogramme de poids corporel). L’urine est alors très abondante et le besoin d’uriner devient fréquent, y compris la nuit (on parle de nycturie lorsque le sommeil est interrompu par des envies d’uriner).

La polydipsie désigne une soif anormalement excessive, conduisant à boire des quantités de liquide bien supérieures à la normale (plus de 3 litres d’eau par jour chez l’adulte, par exemple). Souvent, la quantité bue au cours de la journée tend à compenser la diurèse élevée : plus les urines sont abondantes, plus la soif s’intensifie pour éviter la déshydratation. La personne ressent le besoin de boire continuellement en journée et parfois doit se réveiller la nuit pour s’hydrater.

Soif la nuit

Il convient de distinguer la polyurie d’autres troubles urinaires : dans la pollakiurie, une personne urine très fréquemment de petites quantités (par exemple lors d’une irritation de la vessie ou d’une infection urinaire), mais le volume total sur la journée reste normal. À l’inverse, la polyurie implique une augmentation du volume global d’urine, et non pas seulement de la fréquence des mictions. De même, la polydipsie traduit une soif physiologique accrue, à ne pas confondre avec une simple sensation de bouche sèche passagère sans déséquilibre hydrique.


Le diabète insipide : un trouble de la régulation de l’eau

Le diabète insipide est une affection endocrinienne dans laquelle les reins perdent leur capacité à concentrer l’urine. Il en résulte une polyurie constante (urines diluées en grande quantité) et une polydipsie compensatoire (soif intense). Ce dérèglement provient d’un défaut de la fonction de l’hormone antidiurétique (ADH, ou vasopressine), chargée habituellement de limiter les pertes d’eau. L’ADH est une hormone produite par l’hypothalamus et libérée par l’hypophyse postérieure qui agit sur les reins pour augmenter la réabsorption d’eau et concentrer les urines lorsque l’organisme manque d’eau.

Dans le diabète insipide, ce mécanisme antidiurétique est défaillant. Concrètement, le rein ne reçoit pas le signal hormonal pour retenir l’eau, ou bien il ne parvient pas à y répondre. L’eau n’est alors pas réabsorbée correctement et s’élimine en grande quantité dans les urines, rendant celles-ci presque transparentes (très peu concentrées). En parallèle, la soif du patient augmente car l’organisme détecte la déshydratation naissante et tente de la corriger en incitant à boire davantage. Tant que la personne a libre accès à l’eau et boit suffisamment, elle peut compenser les pertes urinaires importantes ; en revanche, si les apports en eau ne suivent pas, une déshydratation sévère peut survenir.

Les causes de ce défaut peuvent se situer à deux niveaux. Si le problème vient d’un manque d’ADH produite, on parle de diabète insipide neurogène (atteinte de l’hypothalamus ou de l’hypophyse). Si au contraire l’hormone est bien produite mais que les reins ne la perçoivent plus correctement, il s’agit d’un diabète insipide néphrogénique (d’origine rénale). Dans les deux cas, les symptômes sont similaires. Il existe par ailleurs des formes particulières comme le diabète insipide gestationnel, qui apparaît en fin de grossesse, ou la polydipsie primaire (potomanie) où la soif excessive est la cause initiale de la polyurie.


Les types de diabète insipide et leurs causes

Selon son mécanisme, on distingue plusieurs formes de diabète insipide. Chacune a des causes spécifiques, qu’elles soient génétiques ou acquises :

Les principales formes de diabète insipide et le mécanisme en cause sont résumés ci-dessous :

Type de diabète insipide Cause ou mécanisme Traitement principal
Diabète insipide neurogène Défaut de production d’ADH (lésion de l’hypothalamus ou de l’hypophyse, ex : traumatisme crânien, tumeur) Desmopressine (analogue de l’ADH) pour remplacer l’hormone manquante + traitement de la cause si possible
Diabète insipide néphrogénique Insensibilité des reins à l’ADH (anomalie génétique ou atteinte rénale acquise, ex : médicament comme le lithium) Apports hydriques abondants, régime hyposodé (pauvre en sel), médicaments réduisant la diurèse (diurétiques thiazidiques, anti-inflammatoires) et arrêt des substances en cause
Diabète insipide gestationnel Excès de vasopressinase (enzyme placentaire) en fin de grossesse détruisant l’ADH maternelle Desmopressine si nécessaire pendant la grossesse (transitoire, résolution après l’accouchement)
Polydipsie primaire (potomanie) Absorption compulsive de grandes quantités d’eau sans besoin physiologique (souvent d’origine psychologique) Suivi psychologique ou psychiatrique, encadrement pour réduire progressivement les apports hydriques excessifs

Symptômes et manifestations cliniques

Le diabète insipide se manifeste essentiellement par les signes liés au manque d’eau et aux mécanismes de compensation de l’organisme. Les symptômes caractéristiques incluent :

  • Des mictions très abondantes, généralement supérieures à 3–4 litres d’urine par jour chez l’adulte (et pouvant atteindre 8–10 litres dans certains cas sévères). L’urine est claire, presque transparente, car très diluée.
  • Une soif excessive constante : le besoin de boire de l’eau est permanent tout au long de la journée, à hauteur des volumes urinés (parfois 4–10 litres d’eau bus par jour). La personne ne se déplace jamais sans une bouteille d’eau à portée de main.
  • Une nycturie marquée : la polyurie oblige à se lever plusieurs fois chaque nuit pour uriner et boire, perturbant le sommeil.
  • En l’absence d’accès facile à l’eau, des signes de déshydratation apparaissent : bouche sèche, faiblesse, vertiges, maux de tête. Si la déshydratation s’aggrave, elle peut provoquer une confusion, une fièvre, des convulsions ou d’autres complications graves liées à l’hypernatrémie (excès de sodium dans le sang).
  • Chez le jeune enfant ou le nourrisson, on peut constater des couches très mouillées en permanence, une irritabilité due à la soif, un retard de prise de poids ou des épisodes de fièvre inexpliqués. Ces signes peuvent révéler un diabète insipide congénital ou infantile (rare, souvent héréditaire).

Diagnostic du diabète insipide

Face à un syndrome polyuro-polydipsique, le médecin réalise d’abord des examens simples pour guider le diagnostic. Il quantifie la diurèse sur 24 heures (un volume dépassant 3 litres chez un adulte est très évocateur). Parallèlement, un test de glycémie et une recherche de glucose dans les urines sont effectués pour éliminer un diabète sucré, cause plus fréquente de polyurie. En cas de diabète insipide, la glycémie est normale et l’urine ne contient pas de sucre. En laboratoire, on observe généralement une urine très peu concentrée (faible densité ou osmolarité urinaire) et, si l’apport en eau a été insuffisant, une osmolarité sanguine ou un taux de sodium élevés traduisant un début de déshydratation.

 

L’examen de référence pour confirmer le diabète insipide est l’épreuve de restriction hydrique (ou test de déshydratation contrôlée). Cet examen se déroule en milieu médical sous surveillance, car il consiste à priver le patient d’apport en eau pendant plusieurs heures tout en surveillant son état clinique. Toutes les heures, on mesure la quantité d’urine émise, son osmolarité (son degré de concentration) et on contrôle la concentration du sang (osmolarité plasmatique, natrémie). Normalement, la privation d’eau entraîne une concentration croissante des urines (le volume uriné diminue et l’urine devient plus concentrée en solutés). Dans un diabète insipide, le patient continue à uriner de façon excessive avec des urines qui restent diluées, car les reins n’arrivent toujours pas à concentrer malgré la déshydratation induite. Ce test démontre l’incapacité à concentrer l’urine, signature du diabète insipide.

Pour différencier un diabète insipide neurogène d’un diabète insipide néphrogénique, on a recours à l’administration d’un analogue de l’ADH après le test de restriction hydrique. Concrètement, une dose de desmopressine (hormone synthétique imitant l’ADH) est donnée au patient déshydraté, puis on observe l’effet sur la diurèse et l’osmolarité urinaire. Si l’administration d’ADH entraîne une forte diminution du volume des urines et une augmentation de leur concentration, cela signifie que l’organisme manquait d’ADH : c’est donc un diabète insipide neurogène (car l’apport d’hormone a corrigé le problème). Si la polyurie persiste et que les urines restent peu concentrées malgré la desmopressine, l’ADH est inefficace : il s’agit alors d’un diabète insipide néphrogénique (le rein est en cause).

Une fois le diagnostic de diabète insipide confirmé, il convient d’en déterminer la cause précise. Si un diabète insipide neurogène est suspecté (défaut de production d’ADH), une IRM cérébrale est généralement réalisée pour visualiser la région hypothalamo-hypophysaire et détecter une éventuelle lésion (tumeur bénigne, traumatisme, inflammation, etc.). En l’absence de cause évidente, on parle de forme idiopathique (sans cause retrouvée). Si une forme néphrogénique est en cause, un bilan rénal est effectué (tests de fonction rénale, imagerie des reins) et l’on recherche d’éventuels médicaments ou déséquilibres métaboliques à l’origine du trouble. Dans les formes héréditaires de diabète insipide (notamment néphrogéniques congénitaux), des analyses génétiques peuvent confirmer la mutation en cause.


Traitement et prise en charge du diabète insipide

La prise en charge du diabète insipide vise à réduire les symptômes (polyurie et polydipsie) et à traiter la cause sous-jacente lorsque c’est possible. Le traitement diffère selon le type de diabète insipide.

Dans le diabète insipide neurogène, le traitement de choix est la desmopressine (DDAVP). Il s’agit d’un analogue synthétique de l’ADH qui mime les effets de l’hormone naturelle sur le rein. Administrée par voie nasale (spray) ou orale (comprimés fondants), la desmopressine réduit fortement la diurèse et contribue à concentrer les urines. Elle soulage ainsi la soif et améliore considérablement le confort de vie des patients. La dose est ajustée pour supprimer les symptômes tout en évitant une rétention d’eau excessive. Ce traitement hormonal est généralement nécessaire à vie si la cause du diabète insipide persiste. En parallèle, lorsque c’est possible, un traitement étiologique est entrepris : par exemple, une chirurgie ou un traitement spécifique pour retirer une tumeur ou traiter une lésion cérébrale responsable du manque d’ADH.

Dans le diabète insipide néphrogénique, la desmopressine est peu ou pas efficace, car le rein ne peut pas répondre à l’ADH. La prise en charge repose avant tout sur des mesures diététiques et symptomatiques. Il est recommandé d’adopter un régime hyposodé (pauvre en sel) afin de réduire la production d’urine, et de s’hydrater fréquemment par petites quantités d’eau tout au long de la journée pour compenser les pertes. Paradoxalement, certains diurétiques thiazidiques à faible dose peuvent diminuer la polyurie dans le diabète insipide néphrogénique : en provoquant une légère déplétion en eau et sel de l’organisme, ils favorisent la réabsorption d’eau par les reins en amont. Des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS, comme l’indométhacine) sont parfois associés pour potentialiser cet effet. Il faut également supprimer ou corriger la cause si elle est identifiée : arrêt d’un médicament en cause (par exemple le lithium), correction d’une anomalie métabolique (calcium, potassium), traitement d’une maladie rénale sous-jacente, etc.

Dans le diabète insipide gestationnel (survenant pendant la grossesse), la desmopressine est également utilisée si les symptômes sont gênants. Cette forme étant transitoire, le traitement pourra généralement être arrêté après l’accouchement, lorsque l’hormone ADH maternelle redevient efficace.

Dans les cas de polydipsie primaire (potomanie), il n’y a pas de traitement médicamenteux spécifique puisque la régulation hormonale antidiurétique est normale. La prise en charge est surtout comportementale et psychothérapeutique : un suivi psychologique, voire psychiatrique, aide le patient à réduire progressivement ses apports hydriques excessifs. Une surveillance médicale est nécessaire car une réduction trop brutale de la consommation d’eau pourrait entraîner des troubles électrolytiques. L’entourage et le corps médical doivent aussi comprendre que la personne boit en réponse à une soif impérieuse ; il serait dangereux de lui interdire totalement de s’hydrater. La diminution des apports doit donc être progressive et encadrée.


Autres causes de polyurie et polydipsie

Enfin, il est important de noter que toutes les polyuries-polydipsies ne relèvent pas d’un diabète insipide. De nombreuses situations peuvent provoquer des urines abondantes avec soif compensatrice. Parmi les autres causes possibles du syndrome polyuro-polydipsique, on peut citer :

  • Le diabète sucré (diabète de type 1 ou 2) : c’est la cause la plus fréquente de polyurie et polydipsie. Un excès de glucose dans le sang se répercute dans les urines (glycosurie) et entraîne une diurèse abondante par effet osmotique. Le patient boit beaucoup pour compenser. Ce tableau s’accompagne souvent d’autres symptômes (fatigue, amaigrissement, appétit augmenté) et la présence de sucre dans les urines ou le sang confirme le diagnostic de diabète sucré, différent du diabète insipide.
  • L’insuffisance rénale chronique : dans les maladies rénales avancées, les reins perdent leur capacité de concentration de l’urine, ce qui peut se traduire par une polyurie (surtout la nuit) et une soif accrue. Ce phénomène est souvent modéré par rapport au diabète insipide, et d’autres signes d’insuffisance rénale (anémie, hypertension, œdèmes) sont présents.
  • Les substances diurétiques ou osmotiques : la prise de médicaments diurétiques (prescrits par exemple contre l’hypertension ou l’insuffisance cardiaque) entraîne mécaniquement une augmentation du volume des urines. De même, l’administration de certaines substances osmotiques en perfusion (par exemple le mannitol, utilisé en neurologie) provoque une polyurie transitoire. Ces situations s’accompagnent d’une polydipsie si la personne éprouve de la soif pour compenser, mais elles ne correspondent pas à un diabète insipide.

Face à des urines anormalement abondantes accompagnées d’une soif intense, un bilan médical s’impose afin d’en déterminer la cause. Qu’il s’agisse d’un diabète insipide ou d’une autre étiologie, une prise en charge adaptée aidera à soulager les symptômes et à prévenir les complications (déshydratation, déséquilibres électrolytiques, etc.).

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